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Revenir sur ma légère erreur à propos de l’attentat du 27 janvier 2023 à Neve Yaakov : les gens sortaient de la synagogue, ils n’étaient pas en train de prier à l’intérieur. Pessimisme sur la cohabitation entre Juifs et Arabes :
Avant le massacre : Mère crocodile d’un dihadiste
Après le massacre de Neve Yaakov, Arabes narguent un Juif religieux dans un ascenseur
Je vais poursuivre la question des multiples plans de paix répartis entre 1937 et 2020, lesquels auraient, aux dires des antisionistes, principalement été sabotés par les Israéliens.
Dominique Vidal, les Israéliens sabotent le processus de paix
Jusqu’à « Par les dirigeants israéliens »
Par manque de temps et parce que tous les plans de paix ne se valaient pas en termes de probabilités de succès, je me concentrerai aujourd’hui sur le premier plan de partage du comité Peel, en 1937 ; celui, essentiel de l’ONU en 1947 ; les propositions d’Israël au monde arabe juste après la guerre des Six jours ; le plan de paix de Camp David en 2000 dans la lignée des accords d’Oslo ; enfin le retrait unilatéral de Gaza en 2005 et ses conséquences suicidaires pour la société palestinienne.
Je rappelle que tous ces plans de paix et de partage ont été agréés par les Juifs et les Israéliens et refusés par les Arabes et les Palestiniens.
Je passe vite sur les velléités de paix avortées dans l’œuf en 1951 par l’assassinat d’Abdallah premier, devenu roi de Jordanie1 :
« Le 1er décembre 1948, il se fait proclamer ‘‘roi de Jordanie’’ lors d'une cérémonie organisée à Jéricho, dans la vallée du Jourdain.
Après l'annexion de la Cisjordanie, les Palestiniens représentent les trois quarts des habitants du royaume de Jordanie. Le pouvoir d'Abdallah Ier est donc fragilisé par les indépendantistes palestiniens qui aimeraient avoir leur propre État et qui le jugent trop complaisant à l'égard d’Israël. Le 20 juillet 1951 à Jérusalem, il est assassiné par Mustapĥa Ashu, âgé de 21 ans, de deux balles dans la poitrine et une dans la tête, et ce, sur ordre probable de Hadj Amin al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem via le colonel Abdulah El Tell. »
Pour se faire une idée de l’absurdité territoriale du refus arabe – qui désespéra les sionistes pendant des décennies, bien avant que la guerre n’éclate entre Juifs et Arabes faute de règlement à l’amiable, il faut, donc, avoir connaissance du plan Peel de 1937.
Le refus arabe est indépendant de la taille et de la forme du découpage. C’est d’abord une inacceptation de principe de la moindre proposition juive de s’entendre pour trouver un moyen de développer le pays qui satisfasse les deux parties, les sionistes comme les nationalistes palestiniens :
«Élu à la tête du département politique de l'Agence juive en 1933 », écrit Bensoussan2, « Ben Gourion cherche à s'entretenir avec les dirigeants arabes et rencontre plusieurs d'entre eux en 1934. A commencer par Moussa al Alami, un dirigeant respecté devant lequel il plaide en faveur d'un État juif en Palestine qui serait pour tous ‘‘une source de prospérité’’. Al Alami lui répond qu'il préfère que ‘‘le pays reste désolé pour un siècle de plus dans l'attente que les Arabes aient le moyen de le développer’’. Les rencontres avec quatre autres dirigeants arabes entre juin et septembre 1934 n'aboutissent pas davantage.»
En 1936, une Palestine Royal Commission fut nommée, avec à sa tête lord Peel, pour tâcher de déterminer les raisons des inapaisables violences en Palestine, consécutives à la grève générale arabe qui dura 6 mois, avant de déboucher sur une révolte arabe qui allait perdurer, elle, jusqu’en 1939 et achever de désorganiser et de détruire littéralement la société palestinienne (on l’a vu il y a deux séances).
Le 7 juillet 1937, cette commission, concluant à l’impossibilité de maintenir le mandat dans une Palestine devenue ingouvernable, proposa une partition en deux États autonomes, un juif et un arabe.
Si l’on regarde la carte attentivement, on constate que le projet d’un microscopique État juif ressemble à une mauvaise farce ; car il s’agit pour les sionistes de pouvoir accueillir les milliers de Juifs fuyant l’Allemagne nazie et l’antisémitisme bouillonnant partout en Europe. Il y a donc urgence. On sait par ailleurs que Ben Gourion et les dirigeants sionistes qui s’écharpèrent avant d’accepter le plan Peel comme un pis-aller, envisageaient in petto cette acceptation comme un préliminaire à une future expansion (la Transjordanie étant désormais hors-jeu ; c’est le « verrou transjordanien »3: « En mai 1932, le rapport French expliquait déjà que la ‘‘pénurie de terres’’ est principalement due au ‘‘verrou’’ transjordanien. En 1937, cinq ans plus tard, le rapport Peel assure à son tour que la Transjordanie constitue une part importante de la solution au problème. »).
Et pour que cette expansion se fît sur un mode pacifique – laquelle expansion allait bien avoir lieu mais comme conséquences imprévues d’une guerre d’indépendance défensive –, il fallait envisager la solution du transfert de population, indissociable du plan Peel, car sinon – sans transfert ni échange de populations – on aboutissait à l’impraticable plan que, l’année suivante, allait proposer la commission Woodhead :
Walter Laqueur4:
« Le plan A envisageait un État juif ayant en gros les frontières proposées par la commission Peel et dont, on le rappelait, 49% de la population serait composée d'Arabes, qui auraient possédé 75% environ des terres. Selon le plan B, la Galilée, peuplée surtout par des Arabes, aurait été, ainsi que d'autres régions, détachée de l'État juif. Le plan C envisageait un État juif encore plus petit, composé de la plaine côtière, depuis Rehovot au sud jusqu'à Zikhron Ya'akov au nord, soit 1036 km² avec une population totale de 280 000 habitants. C'était en substance un Vatican juif : Tel-Aviv et ses faubourgs. Cependant, ce minuscule État était encore coupé en deux par un corridor reliant Jaffa à Jérusalem. »
C’est donc bien parce que le plan de partage de la commission Peel est si désavantageux pour eux – ils l’accepteront néanmois comme pis-aller – que les sionistes, ayant à l’esprit l’exemple gréco-turc, se mettent à réfléchir à l’idée d’un transfert de population proposé par la commission Peel:
Georges Bensoussan5 :
« C’est précisément parce que les Juifs renoncent à la Palestine historique que le rapport Peel en 1937 prévoit, en compensation d’un État juif réduit à 20% du territoire historique, le transfert de 225 000 Arabes des zones juives vers les zones arabes hors Transjordanie. Ben Gourion écrit à son fils Amos le 27 juillet 1937, après la publication du rapport Peel: ‘‘Nous ne pouvons, ni n’en avons le droit, proposer une telle chose, car jamais nous n’avons voulu expulser les Arabes. Mais étant donné que l’Angleterre remet une partie de la terre qui nous a été promise à un État arabe, ce n’est que justice que les Arabes de notre état soient transférés dans la partie arabe.’’»
Cette idée d’un échange forcé de populations n’était pas une solution inédite, et ne relevait pas strictement de ce qu’on nomme aujourd’hui un « nettoyage ethnique ». Le racisme implicite contenu dans l’expression de « nettoyage » (comme on lave une souillure) en est absent (du moins dans l’esprit des sionistes qui ne songeaient qu’à trouver une solution démographiquement viable – une majorité juive dans un État autonome – et pragmatique – éviter une interminable guerre, ce qui hélas allait très exactement arriver comme conséquence de l’entêté refus arabe…).
L’expression « nettoyage ethnique » est traduite du serbo-croate ; elle apparaît en 18606 dans l’essai d’un historien serbe, évoquant le soulèvement contre les Turcs de 1805, et la prise de Belgrade en 1807, « nettoyée ocistiti des Turcs » – entendant par là tous les musulmans associés à l’Empire ottoman. Reprise dans plusieurs documents serbes aux XIXè et XXè s., l’expression est toujours teintée d’une notion de violence brutale et quasi exterminatrice :
« Dans la nuit du 7 de ce mois », rapportait un major serbe à sa hiérarchie en février 1943, « nos détachements ont atteint les rives de la Drina, et, de manière générale, les combats ont été terminés ce jour-là; c'est alors qu'à commencé le nettoyage (…) du territoire libéré. Tous les villages musulmans ont été complètement brûlés, au point qu'aucun de leurs foyers n'est resté entier. (…) Durant l'opération, il a été procédé à l'anéantissement complet de la population musulmane sans considération de sexe et d'âge <je souligne>. Victimes: nos victimes se montent à 22 morts, dont 2 par accident, et à 32 blessés. Chez les musulmans, environ 1200 combattants et jusqu'à 8000 autres victimes: femmes, vieillards et enfants. »7
L’article de Wikipédia qui cite ces faits et ces propos évoque l’exemple de la Grèce et de la Turquie en 1923, que les sionistes – et les Britanniques éventuellement – avaient à l’esprit en 1937, comme « une variante au nettoyage ethnique », soit « l'‘‘échange de population’’, par exemple en 1923 entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie (Traité de Lausanne), avec l'approbation des grandes puissances de l'époque et de la Société des Nations »8.
« Au cours des années 1930 », explique Georges Bensoussan9, « chacun avait en mémoire les échanges forcés de population opérée entre la Grèce et la Turquie quelques années auparavant. La séparation et les déplacements de population dans le but d’éviter des tragédies plus grandes encore constituaient l’une des solutions couramment envisagées à l’époque. »
Nathan Weinstock conclut pour sa part dans Histoire de chiens, La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien :
« La Commission dépose son rapport le 7 août 1937. Compte tenu de la volonté de chacun des deux peuples en cause de déterminer librement son avenir sans être assujetti à l'autre, elle recommande la partition de la Palestine en un État juif et en un État arabe, les Lieux Saints devant être soumis à un régime particulier. Le rapport fait référence à un précédent : la convention gréco-turque de 1923 dont l'application a donné lieu à un échange de populations (forcé) de 1 300 000 Grecs et de 400 000 Turcs. Si le Congrès sioniste accepte le projet – non sans espérer que l'avenir permettra de tracer à l'État juif des frontières plus généreuses, le refus arabe, immédiat et sans appel, est parfaitement résumé par une phrase d'Auni Abd al-Hadi: ‘‘Nous n'accepterons aucun compromis.’’ »
Ainsi le Traité de Lausanne, auquel songeaient Ben Gourion et les autres, n’avait strictement rien à voir avec ce qu’on a assimilé plus tard rétroactivement à des nettoyages ethniques, qu’il s’agît des expulsions forcées (non négociées) des Juifs d’Europe au Moyen-Âge ou des musulmans chassés d’Espagne en 1502, ou des Protestants chassés de France après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, et bien entendu il n’avait rien à voir non plus avec le nettoyage ethnique à la nazie qui allait se produire quelques années après en vue de rendre l’Allemagne judenrein, soit littéralement « purifiée de Juifs ».
Le Traité de Lausanne était un traité de paix, conçu pour mettre fin à une opération de génocide d’ores et déjà entreprise contre les Arméniens et les Grecs pontiques par les Turcs en 1915. L’idée principale n’est pas tant celle d’un nettoyage (même si les Turcs génocidaires l’envisageaient de la sorte) mais d’un échange forcé de populations pour mettre enfin fin à un conflit génocidaire.
« En 1938, écrit Bensoussan10, « Ussishkin évoque la ‘‘destruction du troisième Temple’’ à propos de la présence d’une forte population arabe dans le futur État juif. Le 12 juin 1938, au cours d’une réunion à huis clos de la direction de l’Agence juive, Arthur Ruppin durcit son propos : ‘‘Je ne crois pas qu’il faille transporter un seul village. Je crois à la nécessité du transfert de villages entiers.’’ Et Ben Gourion, lors de la même réunion : ‘‘Je suis en faveur d’un déplacement forcé. Je n’y vois rien d’immoral.’’ Cette radicalisation se nourrit à la fois du refus arabe et de la situation dramatique du judaïsme européen en 1938-1939. »
Ce transfert, explique ailleurs Bensoussan11, dans le contexte de l’exiguïté de la nouvelle Palestine amputée de la Transjordanie, n’avait rien d’un véritable déracinement :
« En août 1937, le chef du Colonial Office explique que le ‘‘transfert’’ évoqué par le plan est une translation sur courte distance à l'intérieur d'un milieu de même culture, de même langue et de même religion. »
En 1937, le contexte du conflit judéo-arabe était, malgré ses violences sporadiques exercées principalement contre les Juifs par les Arabes (massacres de Nabi Moussa en 1920, puis émeutes de Jaffa en 1921 et pogrom de Hébron et Safed en 1929), extrêmement différent :
D’abord, les Juifs n’avaient cessé auparavant de proposer une entente pacifique aux Arabes, qui l’avaient toujours refusée :
« En 1925 », rappelle Walter Laqueur12, « au XIVème Congrès <sioniste>, à Vienne, Weizmann annonçait encore que les relations s'étaient améliorées avec les Arabes et que la Palestine était désormais la partie la plus tranquille du Moyen-Orient. Sokolow entrevoyait déjà le jour où les sionistes et les Arabes siégeraient côte à côte dans un congrès palestinien commun. En attendant, l'exécutif s'abstiendrait de toute initiative qui pourrait rendre la coopération entre Juifs et Arabes impossible (Brodetsky). Ben Gourion estimait qu'en tant que peuple oriental, les Juifs devaient suivre avec une profonde sympathie le réveil national des autres peuples orientaux. Weizmann déclara que le Proche-Orient devait s'ouvrir aux initiatives des Juifs, que ceux-ci devraient être en mesure de contribuer au développement de la région en toute amitié et en collaboration avec les Arabes. Chez les dirigeants sionistes, il n'y avait pas le moindre doute que ce qu'ils faisaient en Palestine était juste, pleinement conforme au sens de la justice juive : ‘‘autrement nous ne l'aurions jamais entrepris’’, déclara Sokolow. »
Non seulement il n’y avait de la part des Juifs aucune revendication « ethnique » au sens raciste du terme, mais en outre le refus arabe, en grande partie dicté par l’influence hitlérophile d’Amin Al-Husseini et de son clan, était lui strictement idéologique et ouvertement raciste, (« La Palestine appartient aux Arabes et ils refuseront d’en céder ne serait-ce qu’un mètre carré à qui que ce soit », déclarera Awni Abd al-Hadi à la commission Peel en 1937), ne correspondant en rien à la situation concrète de la Palestine qui avait manifestement bénéficié de l’émigration juive, comme le soutenaient les sionistes (Weizmann aussi bien que Jabotinsky devant la commission Peel), ce que rappelle Walter Laqueur13:
« Personne ne doutait que les Arabes avait bénéficié de l'immigration juive. Ils avaient presque doublé en nombre de 1917 à 1940, leurs salaires avaient augmenté, leur niveau de vie s'était élevé plus que partout ailleurs au Moyen-Orient. Les Juifs n'avaient certainement pas dépossédé les Arabes. ‘‘Une grande partie des terres qui portent aujourd'hui des orangeraies étaient des dunes de sable ou des marécages et n'étaient pas cultivées quand elles furent acquises’’, déclara la commission Peel. Le secrétaire aux Colonies, Malcolm MacDonald, qui n'était pas un ami du sionisme, a écrit: ‘‘Si aucun Juif n'était venu en Palestine après 1918, je pense que la population arabe serait encore aujourd'hui d'environ 600 000 personnes, chiffre qui était resté stable sous le régime turc.’’ Mais les immigrants juifs étaient venus et avaient contribué à faire naître un mouvement national arabe palestinien. »
« Nous persistons à penser », énonce Jabotinsky cité par Bensoussan14, « que la situation économique des Arabes palestiniens, sous la colonisation juive et grâce à elle, est devenue un sujet d’envie de tous les pays arabes avoisinants. Les Arabes de ces pays manifestent une tendance à immigrer en Palestine. »
Georges Bensoussan15 confirme le propos de Jabotinsky :
« Une forte immigration arabe, en provenance d’Égypte, du Liban et de Syrie, s’installe en Palestine durant les années de croissance. Face a cette vague démographique, l’idée de ‘‘Juifs tout-puissants’’ sourd comme un fantasme qui contribue à aigrir les relations entre les deux communautés. L’argument de raison demeure toutefois impuissant face à la peur : en 1939 les Juifs possèdent 7% des terres cultivées, qu’ils travaillent dans 230 implantations agricoles regroupant 140 000 agriculteurs. »
Henry Laurens note comme les membres de la Commission Peel, qui se rendent partout en Palestine pour étudier concrètement la situation, sont stupéfaits d’une part de la virulence de l’intransigeance arabe, et d’autre part de la différence culturelle qu’ils constatent entre les deux communautés.
« Dès son arrivée, la commission commence par entendre les fonctionnaires du mandat dans des séances à huis clos puis publiques. En même temps, elle se rend dans les différentes régions de la Palestine pour étudier la situation sur le terrain. Elle est immédiatement frappée du caractère précaire de ce qui n’est qu’une simple trêve dans les violences. Partout elle entend parler de contrebande d’armes et de nouveaux soulèvements arabes. Le second élément du tableau qui l’impressionne est le fossé culturel séparant les communautés : elle peut ainsi écouter à Jérusalem un orchestre juif jouer sous la direction de Toscanini, et se rendre ensuite dans les quartiers pittoresques de la vieille ville arabe. Elle prend conscience de la monstruosité juridique du mandat : la Palestine est dirigée comme une colonie de la Couronne, statut qui ne concerne plus que les populations arriérées d’Afrique et du Pacifique <sic>, et, en même temps, les Britanniques n’ont aucune coudée franche pour administrer le pays : dans tous leurs actes comme dans toutes leurs nominations, ils sont obligés de respecter un principe de proportionnalité selon l’importance respective des communautés. Ils ont beau affirmer leur foi dans une Palestine unitaire, toute l’évolution depuis 1920 va dans le sens d’une séparation toujours plus ferme des composantes de la population. »
Cette différence culturelle réelle, dont Laurens rend compte par un aspect assez secondaire (celui de la culture musicale européenne), est en réalité une différence d’état d’esprit irréconciliable (qui aboutira comme un pis-aller à la proposition de ce premier plan de partage de 1937), au sens où les Juifs sont prêts à presque tous les compromis territoriaux pour aboutir pacifiquement à leur autonomie, tandis que les Arabes, par principe, ne consentent à rien.
C’est ce qui permet de comprendre aussi l’absurde caractère artificiel (idéologique) des revendications territoriales arabes (lesquelles seront pourtant mises au premier plan dix ans plus tard pour refuser le nouveau plan de 1947).
Premier point crucial, rappelé par Weizmann devant la Commission, les Juifs sont en danger de mort en Europe, en Allemagne et en Pologne notamment. Pour les sionistes, taraudés par l’urgence de sauver les Juifs d’Europe, c’est évidemment l’élément essentiel qui leur fait accepter tant de compromis :
« Weizmann expose les principales thèses sionistes et évoque le sort toujours plus inquiétant des Juifs d’Europe centrale et orientale : les Juifs polonais sont bien plus en danger que les Juifs allemands, tous sont en situation tragique d’être « sans patrie » (homelessness) et la destruction les menace. »16
Je passe sur les raisonnements si approximatifs de Henry Norpois Laurens qu’ils confinent au mensonge, tant il ne peut s’empêcher d’émettre en permanence ses propres biaisées déductions :
« En réalité, le troisième Reich soutient toujours les sionistes, puisque son but premier est de vider l’Allemagne de ses Juifs. »17
Laurens ne cite aucune source à ce raisonnement ridiculement généralisateur qui méconnaît gravement l’idéologie nazie – comme si Hitler avait pu envisager sereinement de corroborer l’établissement d’un État juif où que ce fût dans le monde –, et qui est contredit par l’analyse sourcée de Bensoussan :
« Vue du Yichouv, la situation paraît plus grave encore du fait de la collusion effective entre fascistes italiens, nazis allemands et nationalistes arabes de Palestine. Entre 1936 et 1939, le mouvement arabe palestinien affiche ses sympathies pour l’Allemagne nazie comme cette dernière, d’ailleurs, ne lui dissimule pas son soutien dans les limites tolérées par Londres toutefois. L’Allemagne nazie ne fait pas mystère de son antisionisme radical. En 1936, Hitler salue par ces mots l’avènement de Léon Blum à la présidence du Conseil à Paris: ‘‘Blum est un sioniste destructeur du monde.’’ Le 21 octobre 1941, un mois après avoir donné l’ordre de déportation générale des Juifs d’Europe, Hitler déclare au cours d’une conversation privée: ‘‘Les efforts pour fonder un État juif seront un échec.’’ En mars 1939, des voyageurs européens signalent la présence dans les boutiques palestiniennes de svatiskas et de portraits d’Hitler trônant en bonne place, etc. Au plus fort des émeutes, Rome finance le haut comité arabe. Pour le sionisme ouvrier, la preuve est faite que le nationalisme arabe est ‘‘l’allié du fascisme’’. »18
Weizmann lors d’un second entretien avec la Commission royale, insiste sur la situation singulière de la question juive en Palestine, et sur l’absence d’hostilité véritable des Juifs à l’égard des Arabes :
« Weizmann », écrit Henry Laurens19, « reprend la thèse de la dissymétrie des situations : les Arabes ont obtenu trois États nationaux à l’issue de la guerre mondiale (c’est-à-dire sûrement la Syrie et l’Irak, et une ambiguïté sur le Liban ou la Transjordanie) et peuvent se faire entendre à la SDN, où siège l’Irak, tandis que le peuple juif ne dispose que de l’Agence juive. Si les Arabes de Palestine sont en position d’infériorité par rapport aux Juifs, ce n’est pas le cas si on prend en considération l’ensemble du peuple arabe. La peur qu’ils ont de l’influence occulte des Juifs sur les pays occidentaux vient de la propagande hitlérienne et est irrationnelle. S’ils veulent bien l’accepter, on pourra trouver rapidement un modus vivendi. »
Encore un peu plus tard, lors d’une nouvelle entrevue, « Weizmann affirme qu’une entente est possible avec les États arabes, le Liban et la Syrie en premier lieu. Tout le monde veut la paix et le développement »20.
En comparaison, les propos et l’attitude des Arabes devant la Commission, menés par le Mufti Husseini, est sans ambiguïté :
Walter Laqueur21:
« La position du Mufti, qui déposa comme principal porte-parole des Arabes, fut que l'expérience d'un foyer national juif devait prendre fin ; l'immigration et les achats de terres devaient cesser. L'hébreu ne devait plus être reconnu comme langue officielle et la Palestine devait devenir un État arabe indépendant. Des insinuations antisémites se firent entendre: Auni Abdul Hadi, chef de l'’’Istiqlal’’, organisation de centre-gauche, déclara que les Juifs étaient un peuple plus usurier qu'aucun autre et que si soixante millions d'Allemands, gens cultivés et civilisés, ne pouvaient tolérer la présence de six cent mille Juifs, comment pouvait-on attendre des Arabes qu'il tolérassent la présence de quatre cent mille Juifs dans un pays beaucoup plus petit ? Quand on demanda au Mufti si la Palestine pourrait absorber et assimiler les quatre cent mille Juifs qui y étaient déjà, il répondit sans hésiter: ‘‘Non.’’ Ces Juifs devaient-ils être expulsés ou ‘‘éliminés d'une façon ou d'une autre’’ <je souligne>? ‘‘Nous devons tous laisser l'avenir régler cela’’, répondit le Mufti. ‘‘Ce n'est pas une question qui peut se régler ici’’, dit Auni Abdul Hadi. »
Rapportant les propos quasi-génocidaires de la délégation arabe, Henry Laurens fait l’impasse sur l’antisémitisme et la sympathie hitlérienne (il inverse même la comparaison Arabes/Allemands dans les propos cités par Laqueur), mais est bien forcé de reconnaître la même intolérance radicale, toutes les factions arabes modérées ayant été exclus par le gang des « massacreurs » :
« La défaite des ‘‘modérés’’ est consacrée par le fait que seul le Haut Comité arabe désignera les porte-parole arabes et qu’ils appartiendront tous à la mouvance radicale des Husseini ou de l’Istiqlal : Hajj Amin, Awni Abd al-Hadi, Jamal al-Husseini, Izzat Darwaza ./…/ Awni, qui parle l’anglais, est chargé du dialogue avec la commission. Il centre son propos sur la volonté sioniste de rendre la Palestine aussi juive que l’Angleterre est anglaise. /…/ En ce qui concerne la situation actuelle, Awni est catégorique, le pays ne peut supporter un immigrant juif supplémentaire. Il ne peut être question de voir les Juifs devenir majoritaires. On lui répond par le sort des Juifs allemands. Il rétorque qu’il se sent dans son propre pays comme les Juifs en Allemagne : les Allemands veulent chasser les Juifs d’Allemagne, les Juifs veulent chasser les Arabes de Palestine <je souligne>. Il faut peut-être accepter la situation actuelle (30 % de Juifs), mais la pure justice serait la proportion existant au moment de la déclaration Balfour (93% d’Arabes). Les Arabes sont en situation de vie ou de mort <je souligne : ils ne l’ont jamais été>. Ils sont prêts à se sacrifier pour défendre leurs droits. Ils peuvent arriver à un accord avec les Britanniques sur la base d’un traité d’alliance entre une Palestine indépendante et la Grande-Bretagne. Il ne peut y avoir d’amitié entre le monde arabe et les Juifs tant que durera la politique sioniste du foyer national juif <je souligne>. La commission pose la question du partage de la Palestine. Awni répond que jamais la France n’a accepté la perte de l’Alsace-Lorraine. La Palestine appartient aux Arabes et ils refuseront d’en céder ne serait-ce qu’un mètre carré à qui que ce soit <je souligne>. En revanche, la Constitution de la Palestine indépendante garantira les droits de l’ensemble de la population. »
Le flou laissé par des antisémites avérés sur le sort des Juifs dans leur futur État arabe ne doit tromper personne. Même le peu ou prou philosémite émir Abdallah de Jordanie, sollicité à son tour par la commission Peel et ayant définitivement abandonné depuis 1920 toute idée d’un État juif à côté d’un État arabe, refuse carrément celle des droits politiques accordés aux Juifs en Transjordanie :
Henry Laurens :
« La commission se rend à Amman pour entendre l’émir Abdallah faire une déposition qui est un hymne à l’amitié arabo-britannique. Interrogé sur la possibilité d’installation de Juifs en Transjordanie, il s’y déclare favorable, mais doit d’abord avoir l’assentiment de ses ministres et de son peuple, et affirme qu’il ne peut de toute façon pas être question de leur donner des droits politiques. »
Si je m’attarde autant sur les diverses réactions à ce plan de partage de 1937, c’est parce qu' elles constituent de part et d’autre un modèle, une sorte de modus non vivendi qui ne variera quasiment pas durant les décennies et quasiment le siècle à venir, au cours des diverses tentatives de négociation et de paix qui, il faut bien en avoir conscience, auraient abouti depuis longtemps à la création d’un État palestinien à côté de l’État juif si les dirigeants arabes d’abord et palestiniens ensuite avaient choisi une autre politique que celle du refus frontal (le bien nommé « front du refus »).
(À suivre)
Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), p.50-51
Les origines du conflit…, op. cit., p.78-79
Op. cit. p.756
Op. cit. p.459
Ibid.
Ibid.
Une histoire du sionisme, op. cit. p.466
Ibid. p.467
Les origine du conflit…, op. cit. p.57-58
Histoire du sionisme, vol.1, p.358
Op. cit. p.738-739
Op. cit. p.925 (note 21)
Op. cit. p.377
Henry Laurens, La question de Palestine 2, p.551
Ibid. p.552
Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, 1860-1940 , op. cit., p.632-633
Op. cit. p.553
Ibid. p.554
Op. cit. p.746-747