Pour les Israéliens, leur présence en Judée et en Samarie relève d’une légitimité spirituelle et intellectuelle, hormis la justification subjective des vainqueurs de toutes les guerres depuis toujours. Lorsque deux nations se disputent le même territoire, lorsque l’une des nations agresse l’autre pour lui ravir (ou lui « reprendre ») ce territoire mais perd lamentablement cette guerre, il est sinon logique du moins conforme aux lois de toutes les guerres de l’histoire (auxquelles la justice humaine est parfaitement étrangère) que la nation victorieuse obtienne comme butin le territoire contesté.
Sans même en revenir aux vastes conquêtes de l’empire musulman – par exemple, après la bataille de Qadisiyya en 637 qui vit la défaite des Zoroastriens, « cette bataille », écrit Bernard Lewis dans Le langage politique de l’Islam1 « qui détruisit la puissance militaire des empereurs iraniens et entraîna l'annexion de la totalité de leurs territoires et de leurs peuples à l'empire arabe musulman, est revendiquée avec orgueil des deux côtés /durant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988/. Pour les Irakiens, ce fut une victoire des Arabes sur les Persans, et le premier pas décisif de la conquête de l'Iran. Pour les soldats de l'armée de la République islamique, ce fut une victoire des musulmans sur les païens, et le commencement béni de l'islamisation des peuples de l'Iran. » – il suffit, entre mille autres illustrations universelles, de consulter l’histoire du Reichsland Elsaß-Lothringen (qui fut de jure allemand de 1871 à 1918 – l’Alsace avait été auparavant annexée par le France en 1648, lors des Traités de Westphalie concluant la guerre de Trente ans –, et en 1900 une immense majorité des habitants étaient de langue maternelle germanique, 86,8 % parlaient les dialectes alémanique et francique)2.
Or les stratèges israéliens, aussitôt après cette victoire sans précédent dans les annales militaires modernes, ne se sont pas rués vers l’annexion pourtant tentante. Ils ont au contraire hésité sur la marche à suivre, ce que traduisent Levi Eshkol (le Premier Ministre) et Abba Eban (Ministre des Affaires Étrangères) en affirmant aux Américains : « Il n’y a pas de doctrine israélienne sur l’avenir de la Cisjordanie » (cité par Henry Laurens)3.
« En ce qui concerne la Cisjordanie, aucune décision n’a été prise ; soit on maintient ses liens avec la Jordanie, soit on établit un régime d’autonomie avec union économique avec Israël. Rusk demande si l’on ne peut pas prendre en compte le souhait de ses habitants. Eban évoque des ‘‘sondages’’ de notables par les services de renseignements. Il se refuse à évoquer le statut de Jérusalem et n’entend parler que de la gestion des Lieux saints. »4
Un exemple de l’irréalité de la situation est offert par Henry Laurens à propos du retour de certains réfugiés en Cisjordanie pour réunification familiale (pour « raisons humanitaires », comme on dit aujourd’hui) :
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