Il existe une cosmogonie juive très originale, qui ne doit pas grand-chose aux critères du platonisme, du néo-platonisme ou de l’aristotélisme, et qui s’organise principalement autour de l’ énigmatique notion kabbalistique des sefirot.
Le mot sefira, rendu parfois par « nombre primordial », ce qui est une mauvaise traduction, rendu dans la traduction du Sefer Yetsirah de Bernard Dubourg par « inscription » et dans celle de Mopsik par « chiffre », est à peu près intraduisible en réalité.
Le mot vient de la racine du verbe hébreu safar, qui signifie à la fois « gratter », « polir », « inscrire sur de la pierre », « écrire », « compter », « énumérer », « raconter », « narrer », ou simplement « proférer des mots ». Le terme safar est donc primordialement lié à l’écriture, à l’inscription puisqu’il n’y a pas de chiffres en hébreu.
Il apparaît pour la première fois au début du Sefer Yetsirah, le « livre de la Création » (Dubourg le rend par « Le Livre de l’Œuvre »), plus ancien traité mystique de cosmogonie juif, écrit vraisemblablement entre le 3ème et le 6ème siècle, où il est associé à un autre terme, beli-mah, qui littéralement signifie « sans quoi ». On étudiera cette énigme plus tard.
Le monde divin, enseigne la Kabbale, s’articule en dix sefiroth qui sont à la fois dix éléments de la structure de Dieu, dix dimensions du divin, dix parties du corps divin et dix émanations successives ayant abouti à la création du monde. Par ailleurs, cette antériorité ex nihilo du monde sefirotique est intégralement prise dans un processus analogue à la naissance de la parole depuis la pensée la plus secrète.
Voici comment l’exprime par exemple le Zohar1 :
« Lorsque tu contemples les degrés, Il est Pensée, Il est Intelligence, Il est Voix, Il est Parole et tout est un. Et la Pensée, oui elle est prémices de toute chose et il n'y a pas séparation mais tout est un, une seule chaîne, car la Pensée même est liée au Néant et jamais ne s'en écarte, et c'est <le sens du verset>: "Le Seigneur est un et son nom est un" (Zacharie 14:9).»
Si l’on cherche dans les encyclopédies classiques une première définition sommaire des sefirot, on risque fortement de n’y rien comprendre. Il s’agirait, selon le Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme du « nom kabbalistique donné aux dix émanations à travers lesquelles se manifeste la Divinité »; selon le Trésor de la Langue Française, des « dix entités (souffle de Dieu, air, eau, feu et les six directions de l'espace) qui comptent parmi les trente deux voies de la Sagesse selon lesquelles Dieu a créé le monde » ; selon la Jewish Encyclopedy des « potencies or agencies <les puissances ou les actions> by means of which, according to the Cabala, God manifested His existence in the production of the universe. The term is derived from the Hebrew noun "sefirah," which, meaning originally "number" or "category," alternately assumed in the language of the Zohar the significations of "sphere" (σφαῑρα) and "light" (from ) » ; selon l’Encyclopaedia Judaica, dans une notule rédigée par Gershom Scholem en personne, ce « terme fondamental de la Kabbale, sefira (au singulier), fut inventé par l’auteur du Sefer Yetsirah qui a ainsi désigné les dix ‘‘nombres’’ primordiaux ou idéaux, selon la racine hébraïque safor, compter <numerate>… »
Tout cela reste assez confus, et l’on ne sait pas bien s’il s’agit plutôt d’un processus de « manifestation » du divin (par degrés, émanations, nominations, épanchements ? ) ou bien d’un processus de création et de production de l’univers (et de quel type exactement ? matériel, spirituel, luminescent, langagier ?) …
Cette incertitude n’est pas sans dessein, vous vous en doutez bien.
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