J’insiste encore un peu sur la dialectique du Bien et du Mal – laquelle par exemple laisse transparaître sa complexité dans les passages de la Bible où Dieu et Satan conversent, comme au début de Job, ce qui n’a pas manqué de rendre perplexes certains commentateurs.
Rabbi Moïse Cordovero, dans Le Palmier de Déborah1, a finement développé cette étrange association entre Guevourah et Hessed, entre la gauche et la droite, assimilant la méditation de la Torah à une relation érotique fondée sur le modèle du Cantique des Cantiques :
« En vérité, le penchant au mal doit être attaché et retenu en sorte qu'il ne s'éveille pour aucun des actes de son propre corps, ni pour le désir du rapport sexuel, ni pour le désir de l'argent, ni en vue de la colère, ni en vue de la gloire. En revanche, pour le besoin de sa femme, l'on éveillera son penchant avec calme du côté des douces rigueurs <haguevouroth hametouqoth, de mataq, « être doux », comme lorsque Moïse, après le passage de la Mer Rouge (Exode 15, 25) adoucit pour les Hébreux les eaux de Mara, amères et imbuvables, en y jetant à l’indication de Dieu un bâton : « Et l’eau devint douce. »>, par exemple pour l'habiller, pour lui procurer une maison, et l'on dira: ‘‘En ce que je l'habille je pare < « je répare » : ani metaqen> la Chekhina’’ qui, elle, s'orne par la Bina, qui est la rigueur qui concentre toutes les rigueurs s'adoucissant par l'abondance des tendresses. »
Et ensuite :
« De ce côté-ci il éveillera le penchant au mal pour l'aimer /sa femme/, alors il portera son intention vers la gauche qui s'éveille pour la rapprocher, selon le secret de ‘‘Sa gauche est sous ma tête’’ (Cant. 8,3), car elle ne s'attache d'abord qu'au côté gauche, ensuite: ‘‘Sa droite m'enlace’’ (Ibid.), il aura comme intention d'adoucir toutes ces parures avec son penchant au bien et de la parer, elle, réellement, pour la réjouir au sujet d'un commandement au nom d'une Unification supérieure. Il aura ainsi adouci toutes les rigueurs et les aura parées < « réparées »> à droite. Cette démarche s'appliquera à toute espèce de désirs relevant du penchant au mal, ils seront principalement destinés aux parures de la femme <tiqouney ha-ïchah> que YHVH lui a donnée pour être une aide face à lui. Ensuite il les retournera tous pour le service de YHVH, afin de les lier à la droite. »
Ce commentaire s’appuie sur le passage de la Genèse où il est indiqué que la femme sera pour l’homme « une aide contre lui » (et non pas face à lui). C’est en Genèse 2, 18 : Segond : « L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. » Pas du tout ! Zadoc Kahn : « L’Eternel-Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide digne de lui. » Pas du tout ! Segond réédité : « L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je lui ferai une aide qui soit son vis-à-vis. » Pas du tout !
Il est écrit en hébreu :
« Je lui ferai une aide contre lui ».
Et les commentateurs juifs ajoutent :
« Rabbi El’azar a enseigné : ‘‘Je lui ferai une aide contre lui’’ – s’il est méritant, elle l’aidera ; sinon, elle sera contre lui. D’autres ont enseigné : Rabbi El’azar a demandé : Il est écrit kenègdo (‘‘face à lui’’) mais on peut lire : kenigdo (‘‘comme sa flagellation’’) – s’il est méritant, elle sera ‘‘en face’’ de lui (c’est-à-dire : à ses côtés) ; sinon elle le ‘‘flagellera’’. »
Et le Sforno (Rabbi Ovadya Ben Yaaqov Sforno, né en 1470 à Cesena en Italie, qui vécut à Rome comme médecin, où il a étudié la philosophie et les mathématiques, puis à Bologne où il fonda sa maison d’études, jusqu’à sa mort en 1550) :
« Une aide kenègdo (‘‘lui correspondant’’) – Une aide qui soit en quelque sorte son égale en image et en ressemblance. Cela était indispensable pour qu’elle soit à même de connaître ses besoins et de les combler au bon moment. Il a dit : kenègdo (‘‘face à lui’’), car si on pose un objet sur un plateau d’une balance, en contrepoids d’un autre, il se retrouve ‘‘face à lui’’, sur une même ligne droite, uniquement s’ils ont le même poids. En revanche, si leurs poids diffèrent, l’un monte et l’autre descend, et ils ne seront pas l’un ‘‘face’’ à l’autre <zéh néguèd zéh>, sur une même ligne. De cette manière nos Maîtres ont enseigné littéralement : ‘‘Moïse pesait kenéguèd (‘‘face à’’) tout Israël (Mekhilta Yithro 1…). Cepen
dant, il fallait que cette aide ne fût pas complètement son égale, car s’il en avait été ainsi, il n’aurait pas été acceptable que l’un serve et assiste l’autre <décliné au masculin en hébreu : eh’ad mehem leh’avero>. »
On a ici en quelques lignes, datant du XVIème siècle, dans une civilisation profondément patriarcale, un petit traité de l’équivalence et de l’assistance réciproque des sexes qui ne signifie pas pour autant une abolition de toutes les différences. S’équivaloir et s’égaler sont deux choses différentes. Les femmes et les hommes sont inégaux, raison pour laquelle ils doivent se répartirent les tâches de leur collaboration. L’homme et la femme ont chacun leur place dans la société juive, qui n’est certes pas la même, mais dont l’une ne prévaut pas pour autant sur l’autre. Que la fin du commentaire soit au masculin est très significative à cet égard.
Ce sont quelques bribes parmi tous les commentaires traditionnels. Je m’y attarde parce que d’une part elles ne sont pas sans liens avec l’androgynie de l’homme primordial, laquelle est aussi un écho de la part féminine intégrée dans le monde divin, et que reflète par exemple la figure féminine de la Chekhinah ; et d’autre part parce qu’elles correspondent aussi à cette dialectique du Bien et du Mal dans la pensée juive, qui sont en quelque sorte reliés l’un à l’autre et dépendants l’un de l’autre. Ce sont des questions complexes qui ont suscité de nombreuses pages dans les commentaires juifs, que je ne veux qu’indiquer ici à propos de la sefirah Guevoura.
Je passe plus rapidement sur les dernières sefiroth qui sont :
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