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Une autre critique que formule Heidegger à l’égard de Pascal concerne la formule – merveilleuse de laconisme énigmatique – qui vise Descartes, dans la Pensée Brunschvicg 78 : « Descartes inutile et incertain. »
Heidegger le cite en 1940, dans son cours sur Nietzsche et le nihilisme européen, où « Pascal », écrit Gérard Guest, « y apparaît comme l’adversaire signalé et acharné de Descartes ». « Il est reproché à Pascal d’avoir méconnu la grandeur propre et la signification historiale pour toute la philosophie des temps modernes, de l’émergence de la métaphysique cartésienne. »
Voilà ce qu’écrit Heidegger, cité et traduit par Gérard Guest (cliquer sur la photo pour l’agrandir):
Est-il si certain que l’incertitude et l’inutilité reprochées par Pascal à Descartes aient le sens que leur prête Heidegger ? Ne s’agirait-il pas, bien plutôt, par exemple, entre autres interprétations possibles, d’une critique profonde par Pascal du Discours de la méthode et de la certitude rationnelle, cette « certitude unique en son genre dans laquelle l’ego cogito-sum de Descartes trouve son accomplissement au sein de l’étant en son entier et pour celui-ci »1?
Dans ce passage de son cours sur Nietzsche, Heidegger commence par assimiler Pascal aux diverses « mésinterprétations » que l’on fait de Descartes dans l’Allemagne nazie (« ces derniers temps ») : il vise, comme dans les Carnets noirs contemporains, les chrétiens allemands, catholiques et protestants confondus, qu’il considère depuis quelques années déjà comme bouillonnant dans le même Hexenkessel (« chaudron de sorcières ») malgré d’apparents antagonismes. C’est pour cela qu’il parle ici sans préciser de « ‘‘positions’’ diverses, et parfois entre elles parfaitement hostiles ».
Or la source unique de ces diverses mésinterprétations de Descartes, ce serait Pascal. Heidegger en souligne le nom, ce qui peut avoir deux sens : soit de préciser qu’il ne s’agit que de l’interprétation par ses contemporains de Pascal, soit au contraire d’impliquer la responsabilité du penseur lui-même, de son opposition à Descartes dont Heidegger va donner sa propre et discutable interprétation – sa mésinterprétation, ce qui est assez ironique.
Il cite en français la Pensée 78 dans la classification Brunschvicg :
« Descartes inutile et incertain », puis il l’explicite en la traduisant : « ‘‘Inutile’’ <unnütz>, parce que sa métaphysique ne tend pas à ce qui seul est utile, l’unum necessarium, c’est-à-dire le salut de l’âme chrétien. ».
Cette interprétation de Heidegger n’est pas en soi fausse, elle est même assez plausible. Néanmoins elle est faussée en ce qu’elle tire la phrase de Pascal de l’univoque côté de la propagande et de la prédication. Ainsi l’unum necessarium est extrait de la traduction latine de l’évangile selon Luc, dans le passage sur Marthe et Marie2, mais c’est Heidegger qui ici le rajoute, la référence n’est pas chez Pascal.
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