La question, au fond, n’est pas là : savoir qui a tort et qui a raison. Si ce cycle s’intitule De l’antisionisme, c’est parce que je m’intéresse à cette rhétorique dogmatique dont l’argumentation est à la fois profondément partiale au regard de l’Histoire, mais surtout ridiculement fallacieuse en théorie – ne se posant jamais sincèrement les questions qui durant des décennies taraudèrent les Juifs, sionistes et antisionistes (comme encore Shlomo Sand aujourd’hui) telles que : qu’est-ce qu’un texte sacré ? qu’est-ce qu’un peuple ? qu’est-ce qu’une terre ? qu’est-ce qu’une nation ? qu’est-ce que l’antisémitisme ? qu’est-ce qu’une colonisation ? qu’est-ce qu’une guerre défensive ou offensive ? qu’est-ce qu’une persécution ? qu’est-ce que l’apartheid ? qu’est-ce que le terrorisme ? etc. –, et qui dès lors en reviennent toujours à faire porter tous les torts du malheur palestinien aux seuls sionistes jadis dans la naissance du conflit, et aux seuls Israéliens aujourd’hui dans la non résolution du conflit.
Les antisionistes révèlent leur mauvaise foi lorsqu’il s’agit de traiter les quelques moments de l’histoire de leurs héros où les Juifs ne sont pas directement impliqués, notamment Septembre noir la guerre civile lancée contre les Jordaniens en 1971, et sa conséquence, leur massacre, leur transfert au Liban et leur responsabilité directe par la suite dans le basculement dans la guerre civile.
Alain Gresh pour sa part feint de ne pas connaître l’idéologie mortifère de l’OLP telle qu’elle s’exprime dans tant de textes et de propos depuis sa création, et dans tant d’actions criminelles, dont le massacre des athlètes israéliens à Munich en 1972 (deux ans après le beau projet philosémite du Fatah), et bien sûr Septembre noir, soit la tentative de renversement du régime hachémite en Jordanie au moment même où paraît le projet.
Gresh sur Septembre noir : https://youtu.be/0A1BOuktmZM?t=1032 Jusqu’à « n’est pas aussi urgente »
« La résistance palestinienne subit un échec majeur en Jordanie avec Septembre noir » :
On remarquera avec quelles pudeurs Gresh résume d’une part la très violente tentative de putsh en Jordanie par l’OLP (Wikipédia :
« À la fin des années 1960, le Fatah, faction de l’OLP, installe en Jordanie un véritable ‘‘État dans l’État’’ : nombre sans cesse croissant de postes de contrôle tenus par les fedayins, des impôts perçus, le refus des Palestiniens de voyager avec des plaques jordaniennes sur leurs véhicules, etc. Les régions de Jordanie où les Palestiniens rejettent en masse l’autorité du roi Hussein se multiplient. De ces zones palestiniennes, l’OLP effectue des raids et des attaques contre Israël. C’est l’époque où Yasser Arafat appelle ouvertement au renversement de la monarchie hachémite en s’appuyant sur le fait que la majorité des habitants de la Jordanie sont Palestiniens. /…/ Le 17 septembre 1970, l’armée jordanienne intervient massivement contre les fedayins, et l’artillerie commence à bombarder les camps de réfugiés et les bâtiments qui abritent les organisations palestiniennes. Au bout de dix jours de pilonnages, les camps sont rasés et les organisations palestiniennes doivent trouver refuge au Liban et même en Israël, certains des fedayins de Yasser Arafat préférant traverser la frontière israélienne pour ne pas se faire massacrer par les soldats jordaniens.»
Quant au Liban, même manière d’atrophier et d’occulter tout ce qui risquerait de desservir la fable immaculée de la « résistance palestinienne » – « Ils vont petit à petit se trouver insérés au Liban dans les luttes inter pays arabes » – , sans révéler à leur public ignare la vérité, à savoir que l’OLP, après avoir été responsable en Jordanie d’une guerre qui causa la mort de milliers de Palestiniens (10 000 morts), a recréé en s’installant au Liban à nouveau un État militarisé dans l’État, contribuant fortement à la déstabilisation et à l’implosion de la société libanaise en 1975, en une guerre civile qui détruira la « Suisse du Proche-Orient ».
Benny Morris1 :
« La majeure partie du sud du Liban et la totalité des camps se convertirent en un État armé dans l’État, où l’autorité du gouvernement libanais n’était plus respectée. Plusieurs groupes terroristes, à l’exemple de Septembre noir, de la bande à Baader-Meinhof allemande et de l’Armée rouge japonaise, vinrent établir leurs bases dans des bastions de l’OLP. Plus tard, dans les années soixante-dix, ce fut avec beaucoup de pertinence qu’Ariel Sharon qualifia le Liban de ‘‘véritable règne de la terreur’’ et de ‘‘centre du terrorisme mondial’’. En raison de sa faiblesse, due avant tout au fragile équilibre interne entre chrétiens et musulmans, le gouvernement se montra réticent, sinon inapte, à contenir les résistants palestiniens, et ce en dépit des réponse à leurs attaques. De 1970 à 1975, on assista à une intensification sensible de la guérilla palestinienne et des opérations terroristes en Israël et en dehors du Moyen-Orient.»
Les militants antisionistes dont il va être question aujourd’hui sont représentatifs de la pétrification de ce discours, qui au fond n’a jamais varié depuis la création de l’État d’Israël, comme si ce petit État, le seul au monde substantiellement lié au peuple du Temps, était, paradoxalement, situé en dehors de l’Histoire. Le meilleur exemple de ce paradoxe est le cas de la bande de Gaza, dominée militairement et administrativement par Israël de 1968 à 2005, puis libéré de toute présence juive et israélienne en 2005 et qui est aujourd’hui perçue comme une prison (israélienne, cela va sans dire) à ciel ouvert !
Les infinies querelles historiographiques autour d’une petite période de temps (grosso modo un siècle et demi (1860-2023) ne sont évidemment pas l’apanage du seul conflit israélo-palestinien ; or elles ne sont jamais présentées par l’apprenti-historien antisioniste comme une énigme mais comme une enquête, au cours d’un procès à charge en vue duquel il s’agit d’accumuler toutes les preuves de la culpabilité du présumé non-innocent qu’est le sionisme et, par une conséquence mécanique sans lézarde, les immigrants sionistes en Palestine.
Le problème, je l’aurai assez dit, c’est que l’Histoire, ça n’existe pas, qu’elle ne saurait par conséquent être une science exacte, et que dès lors jamais les Juifs et les Palestiniens ne pourront partager une conception monolithique de l’enchevêtrement de leurs histoires communes.
Certes il y a bien quelque chose qui s’apparente à la « vérité historique », mais cette « vérité » faite de dates et de chiffres amoncelés (sans tenir compte des perpétuelles omissions par les propagandistes des chiffres de l’autre camp – combien de Juifs massacrés par des Arabes durant la guerre d’Indépendance de 1947-1948, dans quelles conditions, avec quelles répercussions dans la conscience et la mémoire des Arabes, etc.), est aussi pauvre que le serait un tableau Excel présentant avec une infinité de détails les mensurations les plus précises de Marylin Monroe pour rendre compte de son charme, de sa beauté, de son talent et surtout du drame que fut son existence.
Parabole sur l’Histoire qui n’existe pas, et conséquemment le peu de fiabilité de la réflexion historiciste :
Imaginons que le Rassemblement National, ayant démocratiquement accédé au pouvoir, décidait de chasser tous les musulmans de France. Un siècle plus tard, les historiens tâchent d’en saisir les causes : ils expliquent cette issue par la violence islamiste dans le monde et en Europe depuis le 9 septembre 2001 ; les attentats en France depuis 2012 ; les mœurs vestimentaires et culturelles séparées d’une partie de la communauté musulmane (la querelle des foulards, des burkinis…) ; la délinquance dans les cités peuplées en majorité de familles d’émigrés du Maghreb et d’Afrique ; le refus obtus de l’enseignement républicain laïque par certains élèves musulmans, etc.
Cette reconstitution historiciste aux apparences scientifiques serait évidemment documentée, rien ne serait inventé ni vraiment mensonger, et pourtant une vérité majeure manquerait au tableau. Cette vérité invisibilisée, dissimulée par une sorte d’amnésie collective plus ou moins intéressée, c’est que dans la vie quotidienne de l’immense majorité des 70 millions de Français (songez simplement à votre vie quotidienne à vous, qui écoutez cela), tout se passe la plupart du temps parfaitement bien entre les musulmans et les non-musulmans, que l’immense majorité des 4 à 5 millions de musulmans de France sont paisibles, que seuls le racisme et la xénophobie maladifs du Rassemblement National auraient été responsables de leur expulsion sous des prétextes politiques, idéologiques et sociologiques qui substituent toujours l’exception à la règle.
De la même manière, on peut faire dire à l’histoire des Juifs et des Arabes au Moyen-Orient à peu près ce que l’on veut selon qu’on insiste sur telle ou telle catégorie de détails.
Je vous dis cela après avoir écouté de nombreuses conférences antisionistes2, qui toutes pèchent pour les deux mêmes raisons de fond : l’omission de tout ce qui contredit leur idéologie se résumant à : le sionisme est coupable, les Palestiniens sont innocents ; et le mensonge par généralisation abusive et absence de toute nuances concernant les réalités humaines – aussi bien juives qu’arabes.
Prenons un exemple incontestable de vérité historique :
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