Revenons à la question de l’animosité à l’encontre de la pensée juive. Cette animosité, dont l’antisémitisme n’est qu’un aspect, n’est nullement réductible à une xénophobie exotique, une animadversion locale, comme peut l’être, d’un point de vue chinois par exemple, l’antijudaïsme chrétien ou musulman, ou encore le « racisme » anti-jeune, anti-noir, anti-arabe, anti-femme… et antisémite au passage.
Ce que montre mieux que tout l’étude des rapports complexes entre Spinoza et la pensée juive (et il faut y inclure L’Éthique, et tous les textes de Spinoza qui ne traitent pas explicitement de la Bible hébraïque), c’est qu’elle n’est pas, cette animosité, une « haine gratuite » comme on dit bêtement (s’il y a bien quelque chose qui n’est pas gratuit, c’est la haine), réductible à des préjugés à l’encontre d’une culture dont on ne serait pas familier.
Ça, c’est la rhétorique de cowboy (laquelle rhétorique de cowboy a ses sources métaphysiques insues, ce qui explique qu’il y ait, en miroir de la rhétorique de cowboy raciste une rhétorique de cowboy tout aussi débile sur le racisme et la « haine de l’autre »).
On a un exemple très actuel de la confusion des genres avec l’adorable jeune poétesse noire américaine Amanda Gorman, qui a eu l’opportunité spectaculaire de voir sa notoriété grimper aux nues en récitant son poème, écrit pour l’occasion, lors de l’inauguration de Biden.
La question du sexe et de la couleur de la peau adéquate pour traduire son texte a été posée, et tout le pandémonium de la planète Spectacle y est allé de sa misère bavassière.
Une des réactions les plus intéressantes, étant donné qui il est (j’insiste sur cette formule), fut celle d’André Markowicz, le fameux traducteur de Dostoïevski, dans Le Monde et sur sa page Facebook1, lors d’une tribune intitulée « Personne n’a le droit de me dire ce que j’ai le droit de traduire ou pas. »
Je ne sais plus par quel biais je suis arrivé à cette affaire dans mes recherches pour la préparation de cette séance, mais j’ai décidé d’en dire à mon tour quelques mots, pour la raison que cela touche doublement au thème de cette séance et des prochaines : d’une part la conception de l’hébreu biblique chez Spinoza – laquelle engage la communication, la compréhension, l’interprétation, et donc naturellement la traduction d’un texte ; et d’autre part l’absence de « bienfaisance solidaire » dont témoigne Spinoza avec sa communauté d’origine par ses propos violemment antijudaïques et antirabbiniques dans le TTP.
Ce que j’appelle « bienfaisance solidaire » est un principe éthique essentiel du judaïsme : c’est la guemilout hassidim, ce que Hyam Maccoby qualifie d’« amour surérogatoire »2 dans un chapitre sur les Juifs d’Angleterre au Moyen-Âge, concernant l’interdiction de demander un intérêt à un autre Juif à qui l’on prête de l’argent :
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