Les scientifiques ne peuvent s’en empêcher : ils finissent d’une manière ou d’une autre par dévoiler leur pot aux roses, comme les longs textes de Spinoza consacrés à l’hébreu et à la Bible, qui semblent en apparence si peu en rapport dans leur style comme dans leur fond avec la si originale Éthique.
Et pourquoi leur pot aux roses revient toujours à s’en prendre, d’une manière ou d’une autre, à la poésie et à la mystique ? Songez simplement à Badiou réformant Heidegger !
Pour l’irraisonnable raison qu’en littérature, en art, en pensée, l’idée du progrès comme celle d’une mutation n’a aucun sens. « Tous les écrivains n’en sont qu’un », énonce génialement Proust ( « Les grands littérateurs n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt n’ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu’ils apportent au monde. » La Prisonnière)
On comprend bien qu’on n’en pourrait dire autant de ce qui distingue épistémologiquement Galilée ou même Newton, d’Einstein. Tandis qu’il est aisé de constater qu’il n’y a aucun progrès fait entre la poésie de Sappho à Lesbos au VIIème siècle avant notre ère et celle d’Amanda Gorman à Washington lors de l’investiture de Joe Biden, par exemple.
Telle est la raison pour laquelle la formule strictement rationnelle, scientifiquement compatible, de Spinoza, verum index sui et falsi, a muté elle aussi. L’Algorithme l’a aujourd’hui largement amélioré, en particulier sous la forme pandémique de la Fausse Nouveauté, la « Fake News » virale qui fait décider par Twitter du résultat d’élections présidentielles.
Il aurait été physiologiquement impossible à Spinoza de souscrire à la phrase de Guy Debord :
« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »
On a bien des traces de cette mutation de la formule de Spinoza, qui procède de l’esprit de bulldozer davantage que de géométrie, soit cet « esprit qui toujours nie », sans se poser de questions, c’est le cas de le dire.
Et qui toujours nie quoi ? Eh bien tout ce qui n’est pas lui – c’est un cercle vicieux qui ne voit pas plus loin que le bout de sa circonférence, comme dans l’exemple du monde circulaire de Poincaré) – par exemple la pensée questionnante propre à l’herméneutique juive.
Vous savez que « l’esprit qui toujours nie » est le « nom » que Mephisto donne à Faust chez Goethe1.
« Quel est ton nom ? » demande Spinoza-Faust à l’Algorithme, qui rétorque :
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