Ce qu’a d’inévitablement juif cette armée, c’est principalement deux caractéristiques, distinctes mais non contradictoires :
D’abord sa référence éminente à la Bible (sur laquelle chaque soldat juif doit prêter serment lors de la cérémonie du serment, comme chaque soldat musulman israélien sur le Coran).
Cette référence biblique n’est pas seulement fantasmatique (elle l’est en partie). Razoux l’explique très clairement :
« De Josué à Simon Bar Kochba en passant par Massada, l'histoire du peuple juif fourmille d'exemples d'escarmouches, de batailles, de sièges ou de campagnes reflétant des problématiques très voisines de celles auxquelles devront faire face les généraux israéliens. Comme le souligne l'historien israélien Jehuda Wallach : ‘‘Les principes fondamentaux sous-tendant l'organisation d'une force armée et sa mise en œuvre en temps de guerre demeurent peu nombreux et constants à travers l'histoire; leurs fondements se sont toujours appuyés sur la logique, la simplicité et le bon sens ; Tsahal ne fait pas exception à la règle’’. »1
Et si cette source biblico-antique est en partie fantasmatique, elle ne l’est d’autre part pas, au sens où les guerres juives de l’Antiquité ont eu une réelle influence sur la tactique israélienne. Il y a un style, une modalité stratégique et tactique de Tsahal qui puise son inspiration directement et sciemment dans les guerres juives antiques :
« Qu'il s'agisse de lutter contre les Cananéens, les Philistins, les Romains, les Britanniques ou les Arabes, les mêmes recettes produisent souvent les mêmes résultats. Chaïm Herzog, ancien président de l'Etat d'Israël, en témoigne : ‘‘Au cours de mes années de service dans l'armée, j'ai eu l'occasion de mettre à profit les enseignements de l'Antiquité lorsque je me penchais sur les contraintes actuelles qui s'imposent à l'Etat d'Israël dans sa lutte pour la sécurité.’’ L'historien Mordechaï Piron rappelle que ‘‘la motivation du soldat israélien repose depuis toujours sur deux piliers: la conscience de sa judaïcité avec toutes les valeurs que cela implique et le sens d'une continuité historique avec les exploits des combattants juifs des temps bibliques’’. La pensée juive a développé une véritable mystique du champ de bataille où la victoire est accordée par la puissance divine au défenseur d'une cause juste. Cette combinaison de la religion et de l'histoire est à l'origine de bien des mythes fondateurs de l'armée israélienne, et ses principaux traits de caractère résultent d'abord et avant tout du produit d'une épopée complexe s'étendant d'Abraham à Simon Bar Kochba.»2
Exemple d’influence des Hébreux antiques sur les Israéliens contemporains, l’usage raffiné du renseignement (les espions explorateurs de la Bible), du stratagème (Entebbe ou la guerre des 6 jours, sommets du genre) et de la guerre psychologique par la terreur (Deir Yassine et l’exagération, selon Begin, du chiffre des massacres pour faire fuir les populations arabes):
« Ce mode d'action est caractéristique des Hébreux, qui compensent leur infériorité numérique par le recours quasi systématique à la ruse et aux stratagèmes. Qu'il s'agisse d'utiliser le soleil pour aveugler l'adversaire, le feu pour désorganiser un dispositif, le combat de nuit pour semer la panique dans ses rangs, tous les moyens sont bons pour surprendre l'ennemi. Plus que tout, les stratèges israélites privilégient l'attaque surprise pour vaincre un adversaire pourtant plus nombreux et mieux équipé, comme à Gabaon ou bien encore à Mérôm, au pied du Golan, bataille au cours de laquelle ils tendent une embuscade à leurs adversaires et détruisent une grande partie de leurs chars de combat. Enfin, ils n'auraient pas hésité à recourir à la terreur. Le Livre de Josué témoigne de campagnes d'extermination destinées à frapper les esprits et réduire la capacité de résistance des Cananéens. »3
L’autre influence typiquement biblique et juive est l’idée de « guerre juste » (livrée au nom de l’Éternel), à quoi se rattachent la fameuse « pureté des armes » et « l’esprit de Tsahal » :
https://x.com/Tsahal_IDF/status/1720077999423582239?s=20
Cet « esprit de Tsahal » a été très bien résumé et analysé dans l’étude datant de 2016 d’une psychanalyste lacanienne, Élisabeth De Franchesci4 : « L’adieu aux armes » : position de l’analyste dans la guerre :
« Un code éthique dicte la conduite de tous les soldats, conscrits ou réservistes, de Tsahal. Le texte de ce code est remis à tous les soldats dans les premiers jours qui suivent leur incorporation dans l’armée israélienne. Il est lu et discuté avec les commandants durant la période des classes (c’est un fait notable qu’on discute dans l’armée israélienne). Il est accroché dans chaque bureau de Tsahal. Ce code éthique, également appelé « Esprit de Tsahal » (en hébreu, Rouah’ Tsahal : Rouah’ = souffle < « Et le souffle/esprit (Rouah’) de Dieu (Elohim) planait sur la face des eaux » ... Genèse 1:2), occupe une place centrale dans la doctrine de l’armée.
Créé par le philosophe Asa Kasher (Asa Kasher, né en 1940, est le petit-fils d’un talmudiste ; philosophe et linguiste, il a été professeur à l’Université de Tel-Aviv. ) et par des hauts gradés de Tsahal, officialisé en 1994, « l’Esprit de Tsahal» dicte aux soldats l’attitude à adopter. ainsi que les règles de moralité et d’éthique à observer. Ces dernières sont les mêmes pour l’ensemble des soldats, qu’ils viennent de rejoindre les rangs de l’armée ou qu’ils soient généraux. On voit bien que ce code éthique a été pensé, réfléchi de manière soutenue, et élaboré notamment en fonction des grands textes religieux et philosophiques auxquels le peuple juif se réfère ».
Extrait de L’Esprit de Tsahal :
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