Je ne connaissais pas Anice Lajnef, qui a si mal pris mon insistance sur l’antisémitisme séculaire dans le monde musulman au cours du débat. C’est un ancien trader autodidacte, désormais influenceur aux dizaines de milliers d’abonnés sur YouTube, dont la conception simpliste du monde se résume à énoncer que « les malheurs de ce monde ont toujours pour origine la dette et l’usure », que « l’antisémitisme européen est né de la haine des usuriers juifs qu'il fallait éliminer pour libérer les royaumes chrétiens du joug de la dette », qu’« Israël profite des milliards de dollars créés de nulle part par la Fed, l'antre mondial de l'usure, pour se procurer les bombes qui pleuvent sur les populations civiles de Gaza. Sans cette manne d'argent facile, y aurait-il autant de morts à Gaza ? » (tout cela écrit dans un tweet précédant notre débat), et dans un long tweet1 succédant au débat (où il se plaint que je l’ai interrompu2),
il affirme que :
« les trois religions monothéistes dans leurs Livres originels ont formellement interdit l'usure, jusqu'au XIIème siècle où certains hommes de religion décident de lever l'interdit. La tentation de dominer le monde est trop forte. Des exégètes juifs vers le XIIème siècle vont définitivement statuer sur la licéité de l’usure, puis au XVIème siècle Calvin en fera de même. Il est excommunié par l’Eglise catholique et se réfugie dans le protestantisme. En étant les premiers religieux à avoir rendu légal l'usure, et en profitant du caractère exponentiel de l'usure, le monde judéo protestant prend une avance sur les autres Nations. D'ailleurs, les premières banques centrales naissent dans le monde protestant dès la fin du XVIIème siècle. Jusqu'à aujourd'hui, ce n'est pas pour rien que les plus grandes places financières sont des places protestantes (Genève, Londres, New-York) et les plus grandes banques sont originellement fondées par des familles protestantes ou juives (JP Morgan, Goldman Sachs, etc.). /…/ C'est aussi la branche française de la famille Rothschild qui dès le XIXème siècle, forte de son activité usuraire, achète des terres en Palestine alors sous contrôle ottoman, et finance dans la foulée le projet sioniste de Herzl. Usure et division, voilà les deux cancers ayant mené à la chute de l'Empire ottoman et à la perte de la Palestine par le monde musulman. Usure et division, voilà les deux armes qui ont permis au monde judéo-chrétien de conquérir la Palestine, et de laisser une blessure béante au sein d'un monde musulman désuni. Si la cause palestinienne fait réagir autant, c'est que les causes historiques sont complexes et clivantes. Le conflit israélo-palestinien est le fruit de l’usure, de la colonisation, de la division du monde musulman, de l’antisémitisme européen, et de la barbarie nazie.»
Vous comprenez bien qu’un tweet si approximativement vulgarisateur et simpliste, aux relents classiquement antisémites aussi flagrants qu’ils sont niés par son auteur, et qui a été vu et lu par 592 000 personnes, a autrement plus d’« influence » que tout ce que je pourrais expliquer concernant les tenants et les aboutissants du conflit israélo-arabe pendant toute ma vie. Il faudrait passer des mois à décortiquer le rôle philanthropique traditionnel des Rothschild dans l’achat des terres en Eretz Israël (donc dans la légalité commerciale, non la colonisation brutale et spoliatrice), à expliquer qu’il n’y a aucun mal à aider une cause que l’on estime juste (toutes les causes, y compris révolutionnaires, sont toujours subventionnées, comme Marx le fut par Engels et Debord par Lebovici, et comme la cause palestinienne le fut par tant de monarchies pétrolières et aujourd’hui le Hamas l’est par le Qatar), ni surtout que les seuls bâtisseurs concrets de l’État d’Israël, en un processus long et douloureux (de 1880 à 1948) et qui fut d’ailleurs longtemps un échec (avec certaines années plus de retours en Europe ou aux USA que d’installations en Palestine) furent ces centaines de milliers de femmes et d’homme juifs socialistes venus de Russie et de Pologne, qui étaient, comme je l’ai rappelé lors du débat sur QG sous les petits ricanements des trois autres, des gens très pauvres dans leur immense majorité. Sans ces milliers d’hommes et de femmes, sans leur sens de la solidarité collectiviste et leur travail intense de la terre, il n’y aurait jamais eu d’État d’Israël, achat de terres ou pas (comme je l’ai expliqué lors d’une séance précédente du Séminaire, les terres avaient dès le milieu du XIXème siècle été réquisitionnées par de grands propriétaires arabes, ruinant alors la petite paysannerie des fellahs) et cela n’a pas abouti pour autant à un État palestinien avant l’arrivée des Juifs sionistes.
Insister sur l’autocritique impossible du monde arabe (Anice Lajnef prend mal une remarque sur l’antisémitisme musulman séculaire).
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